mercredi 12 décembre 2012

Héloïse - Anne Hébert

Héloïse est le quatrième roman de l'écrivaine canadienne Anne Hébert, paru en 1980 et l'un des plus connus de toute sa création romanesque. Héloïse est une histoire fantastique, où presque tout se joue sur une structure dichotomique, sur une confrontation des valeurs et des symboles. En lisant ce livre, le lecteur est mis devant une dialectique des contraires, car ici le présent se mélange au passé, la lumière à l'ombre et la vie à la mort. Même les personnages sont en fait des simples allégories de ces valeurs, ayant uniquement une fonction symbolique.
Bernard et Christine sont deux jeunes gens qui forment un couple parisien habituel, sans histoires, qui sont très heureux ensemble et veulent se marier. Mais leur bonheur prend fin lorsque Bernard rencontre l'étrange Héloïse dans le métro de Paris. Fasciné par cette femme hors du commun, Bernard ressent le désir de la retrouver, même s'il l'avait à peine entrevue. A la recherche de la femme mystérieuse, il s'éloigne de plus en plus de Christine, celle qu'il aimait, et s'enfonce dans le désir de retrouver une chimère.
Bernard  retrouve étrangement l'homme qui accompagnait celle qu'il recherchait. Celui-ci s'appelle Bottereau et sa compagne, Héloïse. Ce dernier se fait passer pour une agent immobilier et loue un appartement au jeune couple Bernard et Christine. Dans cet appartement, Bernard va commencer une lente descente aux enfers, se noyant de plus en plus du point de vue moral et psychique, malgré les tentatives désespérées de Christine qui essaie de le sauver.
Il retrouve finalement Héloïse et il comprend vite, mais sans l'avouer même à soi-même, que cette femme mystérieuse est dangereuse: Héloïse est un vampire, la personnification de la Mort. La première tentative d'Héloïse de tuer Bernard échoue, car il est sauvé au dernier moment par Christine et il essayera de se remettre et de se retourner vers son épouse qui symbolise pour lui la vie-même.  Mais à ce moment intervient de nouveau Bottereau, qui viole et tue Christine, l’amenant vers l'espace inconnu de la mort et des vampires. Alors, Bernard est entièrement conquis par la fascination de la Mort, cachée sous le masque d'Héloïse.
Héloïse est un roman étrange et fascinant en même temps, un univers ambivalent, la vie et la mort sont présentes partout, trouvant leur personnification en Héloïse et Christine, deux faces de la même existence, celle de Bernard. Les personnages sont des allégories, ils n'ont des valeurs qu'à travers ce qu'ils représentent.  

dimanche 9 décembre 2012

La Vierge et le Gitan - D.H. Lawrence

Le titre d'un livre peut parfois être trompeur. C'est le cas de presque tous les romans de D.H. Lawrence, dont les titres évoquent plutôt des romans à l'eau de rose, pas très intéressants à lire si on a une certaine vision sur ce que la littérature doit être. Je pense que je n'aurais jamais pris un livre dont le titre était La Vierge et le Gitan (j'avoue, c'est peut-être un préjugé) si je n'avais pas connu le nom de D.H. Lawrence.
Yvette est une jeune fille anglaise qui vit avec sa soeur, son père qui est vicaire, sa grand-mère paternelle et sa tante. On apprend dès le début que sa mère s'était enfuie avec un autre homme quand les filles étaient encore petites (on l'appelle d'ailleurs "celle-qui-fut-Cynthia", comme si elle était morte).
Dans cette maison l'éducation est très rigoureuse, traditionnelle, la grand-mère trônant comme une reine au milieu de cette famille majoritairement féminine et imposant toujours ses points de vue. C'est dans ces conditions qu'Yvette rencontre un jour quand elle est sortie avec des amis, une caravane des gitans. Parmi ceux-ci, un homme. On ne peut même pas parler d'une relation entre les deux, il se rencontrent d'ailleurs assez peu face à face, mais je dirais plutôt qu'il s'agit une attraction entre les contraires: elle, jeune, délicate, provenant de la bonne société anglaise, avec une éducation traditionnelle, symbole de la féminité, et lui, l'homme marié, le paria de la société, errant à travers le pays avec sa caravane, symbole de la masculinité et de la liberté. Cette rencontre aide Yvette à se découvrir en tant que femme, à franchir le pas de l'adolescence, mais aussi à se libérer des contraintes imposées par sa famille. Elle ne connaît même pas le nom du gitan, elle va le découvrir à la fin et personnellement, je ne me suis pas rendu compte que l'auteur n'avait pas donné le nom de ce personnage, peut-être parce que je l'ai perçu dès le début comme un symbole qui n'a pas besoin de nom. Au-delà de cette histoire, j'ai lu ce livre plutôt dans le registre métaphorique: j'y ai vu la dégradation d'une société traditionnelle trop contraignante en faveur d'un liberté sociale qui peut passer par une libération du corps. Les scènes de la tempête, fort semblables à mon avis à celles du Déluge biblique, sont très évocatrices de cette vision des choses: la mort de la grand-mère et la destruction de la maison représentent la mort d'un monde, la chute d'une mentalité et la possibilité d'un renouveau total. Et c'est justement le Gitan qui sauve Yvette d'une mort au milieu de cette terrible tempête. Il lui redonne donc métaphoriquement la liberté.

Au Sud de la frontière, à l'Ouest du soleil - Haruki Murakami

Hajime est un jeune garçon de 12 ans qui souffre d'être fils unique dans une société où les familles ont le plus souvent plusieurs enfants. Il rencontre un jour Shimamoto-san, sa voisine et collègue d'école qui est elle aussi fille unique et qui de plus, souffre d'un handicap qui la fait boiter. Entre les deux enfants se lie une amitié profonde, faite de compréhension réciproque et de partage des choses les plus simples: la découverte de la musique, les lectures préférées, les après-midis passés ensemble, les tous premiers frissons amoureux. Quand Hajime déménage dans un autre quartier il continue pendant un certain temps à visiter son amie, mais il y va de moins en moins souvent jusqu'à interrompre totalement la relation. Sa vie continue, il a une adolescence normale, mais qui restera marquée pour toujours par la relation échouée avec Izumi: Hajime la blesse profondément en entretenant une relation clandestine avec sa cousine; cet échec et cette trahison changeront à jamais le destin d'Izumi, qui deviendra, tel que Hajime l'apprendra plus tard, une ombre, une femme au visage pétrifié, une fantôme vivante. 

Marié et avec deux enfants, Hajime devient un prospère propriétaire de bar à jazz, menant une vie tranquille et heureuse jusqu'à la réapparition de Shimamoto-san. Le souvenir nostalgique de l'amitié enfantine se transforme soudainement en passion folle, destructrice, la petite fille qui aimait la musique classique étant maintenant une sorte de femme fatale qui pourrait mener Hajime à la perdition. Le mystère le plus total entoure cette femme qui peut disparaître et réapparaître sans se soucier de la souffrance et la tourmente qu'elle provoque à son amant. Elle cache des secrets, son beau visage n'exprime pas toute la douleur qu'elle avait vecue, la folie qui rôde autour d'elle.
Au-delà de l'amour passionnel pour Shimamoto-san, toute l'attitude de Hajime est causée par un désir permanent de devenir un autre, de changer son existence, une incapacité à se contenter du présent stable. Il rêve toujours à posséder ce qui ne lui est pas accessible, sa passion pour Shimamoto-san exprimant bien toute cette quête d'un absolu illusoire: il la désire parce qu'il sait qu'il ne pourra jamais l'avoir en entier, elle lui échappe à chaque fois sans qu'il puisse s'y opposer. 
Le récit de Au Sud de la frontière, à l'Ouest du soleil est beaucoup plus linéaire que celui du Passage de la nuit, plus classique si on peut dire ainsi. Mais le style de Murakami ne laisse pas le lecteur deviner ce qui va suivre, on ne peut pas anticiper si Hajime se perdra dans un amour fou et dévorateur ou s'il réussira à garder le contact avec la réalité en apprenant à se contenter d'un présent stable aux côtés de sa famille.

Le passage de la nuit - Haruki Murakami


Une nuit à Tokyo. Ce sont les mots qui peuvent résumer Le passage de la nuit de Murakami, un roman intéressant, sombre, étrange même et attirant par son étrangeté. Je ne pourrais pas donner un résumé de l'action, il faut le lire pour le comprendre. Le roman est peuplé des personnages les plus différents, surprenant le lecteur par leur apparition insolite; chacun d'eux fait partie d'une autre histoire, comme si l'action principale était construite de petites histoires parallèles et en même temps paradoxalement entremêlées: dans la grande ville de Tokyo ces personnages qui n'ont apparemment strictement rien en commun forment un cercle étrange et leur rôle n'est jamais anodin. Cela m'a fait penser à l'existence en général, car la réalité n'est-elle pas une construction formée de petites bribes de vies personnelles? Chacun de nous vit sa propre réalité, comme les personnages de Murakami, sans se rendre compte qu'à côté de lui quelqu'un d'autre vit une réalité différente. Peut-on jamais savoir quelle est LA réalité? Tout comme le personnage de Eri, qui dort pendant tout le roman, transporté dans une réalité parallèle, derrière un écran de télévision...
Haruki Murakami a tout écrit comme si le lecteur n'était pas un lecteur, mais un spectateur qui regarde à travers une caméra, qui est en train d'enregistrer le tout, d'en faire un film; on se sent parfois comme un espion qui regarde des choses qu'il ne devait pas voir, qui s'introduit dans les chambres et dans les vies des personnages sans leur demander la permission. Le style est simple, il y a une distinction très nette entre les propos du narrateur - qui s'exprime par des phrases courtes, claires, prenant souvent la forme des didascalies - et les dialogues des personnages, qu'on lit vraiment comme des conversations, mais qu'on peut en même temps imaginer en tant que dialogues de cinéma.
Le temps a une importance capitale dans le roman, tout se passe en l'espace d'une nuit et les heures qui passent sont ponctuées par des dessins d'horloges, comme si le lecteur avait besoin d'un point d'appui pour ne pas se perdre dans une réalité atemporelle, l'auteur l'obligeant en quelque sorte à chaque fois à revenir au point où il le veut. Le roman s'achève avec le lever du soleil, mais le jour semble être seulement l'attente de la nuit suivante.

samedi 8 décembre 2012

Les Hauts de Bellecoste - Christian Laborie


Les Hauts de Bellecoste raconte l'histoire d'une famille de paysans français du début du vingtième siècle, la famille Pérol. Eleveurs de vaches dans les Cévennes, la famille est composée des deux parents, Marie et Auguste, et leurs trois enfants: Clémence, Louise et Antonin; une famille traditionnelle, dans le plein sens du terme, mais qui n'est pas entièrement réticente au progrès de la société. L'intrigue ne m'a pas particulièrement séduite: l'histoire est notamment centrée sur Clémence, la fille ainée, douce et sage, qui tombe amoureuse d'un jeune homme et se retrouve enceinte juste avant le départ à la guerre de son bien-aimé, qui va disparaître sur le champ de bataille de la Première Guerre mondiale. Obligée par son père à épouser un homme qu'elle déteste et qui de surcroît était très violent, elle décide de partir avec sa petite fille; elle trouvera une vie paisible aux côtés d'un autre homme, qui, ironie du destin, est tué dans la mine justement quand elle était enceinte de lui. Elle regagnera donc le domicile conjugal, et découvrira après quelques autres petites aventures que son amour de jeunesse était encore en vie. L'histoire se termine donc sur une fin heureuse. J'ai trouvé que le récit était quelque peu prévisible, en tant que lecteur, j'ai presque deviné que le jeune homme n'était pas mort, mais juste disparu, et qu'il finirait par réapparaître tôt ou tard.
Ce que j'ai bien aimé en revanche est la manière de présenter les lieux et les paysages, j'ai essayé à chaque fois d'imaginer ces endroits idylliques de la France rurale de ce début de siècle et j'ai été transportée au milieu des prairies de montagne, dans les petites villes de la région et dans la ferme familiale. J'ai lu avec plaisir chaque fragment de description.
Les histoires de Louise et d'Antonin m'ont paru aussi plus intéressantes que celle de leur soeur, qui était pourtant centrale. L'émancipation de Louise, jusqu'à devenir une grande journaliste à Paris, temoigne d'une situation sociale de l'époque, quand les femmes et d'autant plus celles issues des familles modestes avaient beaucoup de peine à trouver leur chemin dans une société encore très patriarcale. Quant à Antonin, il connaît à la fin de la Seconde Guerre mondiale une jeune Allemande qu'il épousera, malgré les tensions que la guerre avait créer entre les deux peuples et les préjugés des gens. L'Histoire a une place privilégiée dans le roman, ce que j'ai beaucoup apprécié aussi. Professeur d'histoire et géographie, l'auteur a su introduire dans son récit à la fois les événements et les personnalités de l'histoire de l'époque, que les fines descriptions des paysages, ce qui donne au récit une forte impression de réalisme et de véridicité.

La vie est ailleurs - Milan Kundera


J'avoue que c'est le premier roman de Kundera que je lis, bien que je le connaisse de nom depuis assez longtemps. Ce qui m'a attirée en premier, c'était le titre qui m'invitait en quelque sorte à découvrir cet ailleurs dont il parlait. Et comment ça, la vie est ailleurs? La première question qui vient à l'esprit est sans doute "Et MA vie? elle est où? qu'est-ce qu'elle est?".
Au début, j'ai été un peu déçue, car le récit est assez banal, ennuyant même par endroits: la vie d'un poète tchéque, Jaromil, depuis sa naissance est jusqu'à son suicide. Enfant gâté par sa mère qui voyait en lui le meilleur, le plus doué, le plus grand artiste, Jaromil devient un adolescent incapable d'avoir de relations avec les autres, toujours très lié à sa mère, sa vie est des plus banales. Les quelques bribes de poèmes qu'on peut lire de sa production n'éblouissent pas par leur côté spirituel. Provenant d'une famille de la bourgeoisie praguoise, Jaromil se ralie à la cause communiste, par conviction d'ailleurs, et va jusqu'à dénoncer et faire emprisonner sa petite amie, parce qu'il croyait que le frère de la fille voulait quitter clandestinement le pays. Personnage-bouffon et caricatural au début, il devient quelque peu grosteque vers la fin.
Mais sous ce récit assez simple, inoffensif et banal, on découvre peu à peu la vraie intention de l'auteur, celle de remetre en cause la notion de poésie et de catégorisation. La poésie en tant qu'art pur, dernière possibilité d'évasion absolue d'un monde contraignant. On découvre dans le récit que le destin de Jaromil peut fortement ressembler à ceux des poètes célèbres, comme Rimbaud, Lermontov, Lautréamont, Rilke... Alors, qu'est-ce qui nous autorise à catégoriser la poésie de Jaromil dans une catégorie ou dans une autre? Et si Jaromil considère, comme moi, ces poètes comme des grands auteurs, qu'est-ce qui le différencie de moi, en tant que lecteur, en tant que personnalité? Jaromil reste une caricature, mais devient une caricature douloureuse. Si comme lui, je pensais que la poésie est un moyen d'évasion du quotidien, qu'est-ce qui me reste maintenant? Jaromil a aussi un alter-ego dans le roman, Xavier, un jeune homme qui vit sa vie à travers des rêves et en passant d'un rêve à l'autre, sans jamais se réveiller. Et on revient toujours à la question du début: sait-on jamais où est la vraie vie? savons-nous si notre vie n'est pas un rêve?
La forme du récit contribue aussi à la complexité de cette oeuvre, la longueur des chapitres étant différente selon les parties et donnant un certain rythme, plus ou moins accéléré, à la narration, ce qui me fait penser au rythme de la vie même.
Et pourtant, ce qui me reste en tête à la fin, c'est le titre: La vie est ailleurs....

La chronique d'une mort annoncée - Gabriel Garcia Marquez


Après la lecture des Douze contes vagabonds, j'ai commencé à lire "La chronique d'une mort annoncée", un bouquin assez mince (133 pages dans l'édition que j'ai eue), mais qui m'a surprise par la manière de me capter, de me tenir là, le livre dans les mains jusque tard dans la nuit, en essayant de découvrir la fin de l'histoire. Chose surprenante, je connaissais déjà la fin de l'histoire. Eh oui, Garcia Marquez nous livre dès la première phrase le dénouement de toute l'action: "Le jour où il allait être abattu, Santiago Nassar s'était levé à cinq heures et demie du matin pour attendre le bateau sur lequel l’évêque arrivait". On sait donc que le personnage mourra jusqu'à la fin de l'histoire. Alors, peut-être l'histoire sera-t-elle centrée sur la découverte des assassins? Non plus, on découvre très vite ce détail. Et les raisons du crime? On les sait aussi.
Pour résumer brièvement, Santiago Nassar va être assassiné par les jumeaux Pedro et Pablo Vicario, qui voulaient venger l'honneur de leur soeur. Celle-ci avait désigné Santiago Nassar comme étant le coupable de son déshonneur, découvert le soir de ses noces. Une histoire assez banale, tragique certes, mais pas inhabituelle, où on reconnait des faits de société, l'amour, l'amitié, la vengeance, la trahison, l'indifférence, les bouche-à-oreille,...
Ce qui m'a tellement fascinée a été la manière de Garcia Marquez de raconter toute cette histoire. A la manière d'une chronique, le narrateur écoute et rapporte les témoignages des gens du village, 27 ans après les faits. Et on se rend vite compte que, tout comme le lecteur, tout le village était au courant de ce qui allait se passer, quelques heures avant l'assassinat, tout simplement parce que les deux jumeaux n'ont rien caché, tout au contraire, ils l'ont dit à tout le monde, comme si'ils avaient voulu qu'on les empêchât. C'est seulement le hasard ou le destin qui s'est obstiné contre Santiago Nassar.
Personnellement, j'ai lu toute l'histoire en oubliant parfois la fin "annoncée", en connaissant chaque personnage à travers son histoire de vie, en arrivant à comprendre même les raisons des assassins et l'indifférence des villageois. Dans ce contexte-là, où tout le monde connaissait tout le monde, il est difficile de croire à une telle possibilité et on pense soit que c'est une blague, soit que les autres ont déjà annoncé la future victime.
Rien de spectaculaire dans un livre pourtant magnifique.

Douze contes vagabonds - Gabriel Garcia Marquez


Ce qui m'a interpellée d'abord dans ce livre, ce fut le titre: Doce cuentos pelegrinos (le titre original en espagnol). Comment des contes pourraient-ils être "pèlerins"? Après, j'ai appris l'histoire qui se cache derrière l'écriture de ce recueil de nouvelles: Gabriel Garcia Marquez les a écrites durant une longue période, 18 ans, et ils les a portées dans ses bagages dans plusieurs de ses voyages à l'étranger. Pour moi, c'est l'explication la plus concrète du titre. L'auteur raconte toute leur "aventure" dans un prologue intitulé "Pourquoi douze, pourquoi des contes, pourquoi vagabonds". Déjà la lecture du seul prologue est très intéressante, presque une nouvelle en elle-même. Je dirais, après avoir lu les 12 nouvelles, qu'il s'agit aussi d'une référence aux endroits où se passent les actions, toutes placées en Europe, dans des différentes villes, donc loin de l'Amérique Latine d'où sont originaires les personnages. Le terme "vagabonds" qu'on a utilisé pour la traduction française, ne restitue pas en entier, d'après moi, la signification à connotation religieuse de "pelegrinos". Je dis religieuse sans vouloir faire référence à une religion en particulier, mais juste parce qu'il faut croire pour pouvoir savourer la lecture de ces nouvelles; il faut croire dans une magie qui peut à tout moment apparaître de manière brusque et presque brutale dans le quotidien banal; il faut croire qu'un tout petit détail peut complètement faire basculer une réalité palpable vers un monde où tout est possible, un peu comme le monde des contes de fées. C'est ce que Garcia Marquez appelle le "réalisme magique". Pour le comprendre il faut juste croire.
Je ne vais pas résumer les nouvelles, ce serait inutile, il faut les lire pour savourer toute leur beauté; je vais juste donner les titres des 2 nouvelles que j'ai particulièrement aimées (je ne peux pas m'en décider pour une seule): "La trace de ton sang dans la neige" et "La lumière est comme l'eau".

L'Enfant Noir - Camara Laye


Les littératures francophones sont parmi mes préférées. Maghrébine, antillaise, québécoise, africaine, toutes sont des littératures qui partagent la langue française tout en transportant leur lecteur dans un autre monde. J'aime beaucoup l'exotisme dégagé par la littérature antillaise, la culture contenue dans la littérature maghrébine, les traditions exposées par les auteurs africains ou le parfum local si spécial du Québec.
Cette fois-ci, j'ai lu L’Enfant Noir de Camara Laye. En étudiant de plus prés les littératures francophones du continent africain et plus précisément les autobiographies, ce livre est apparu plusieurs fois dans mes recherches comme étant l'un des exemples par excellence de ce type d'écriture. Mais je n'avais jamais eu l'opportunité de le lire. Je ne pouvais donc pas la rater quand elle est apparue.
J'ai été dès le début captivée par l'histoire et par la manière d'écrire de cet écrivain guinéen: une manière assez simple, mais en même temps chargée d'émotion, l'histoire d'un enfant qui vit l'expérience de l'acculturation. Il raconte la période de sa scolarité, premièrement à l'école du village, puis à l'école française de Conakry. L'histoire s'achève avec la décision de partir en France pour la poursuite de ses études.
J'ai beaucoup aimé la description détaillée des habitudes locales, notamment en ce qui concerne les rituels de passage, d'initiation, auxquels l'enfant doit participer pour marquer les différentes étapes de sa vie, jusqu'au rituel de la circoncision, symbole du passage dans la vie d'homme.
Je ne veux pas cette fois-ci donné un résumé du livre, parce que à mon avis une autobiographie ne peut pas être résumée. Ce qui m'a frappée est le fait que l'auteur ne donne pas le nom de son personnage que très tard dans le déroulement du livre; on peut facilement lire plus de la moitié de l'histoire sans savoir qu'il s'agit en fait d'une autobiographie. On ne doit nullement y voir une tentative de cacher l'identité du personnage principal, son nom apparaissant d'ailleurs plus tard dans le livre. Tout ce qui se passe avant le départ de l'enfant pour Conakry est sous le signe du "nous": il s'agit de l'histoire d'une collectivité, l'histoire de tous les enfants de ce village, qui passent par les mêmes étapes dans leurs vies, donc il est inutile de donner un nom propre à l'enfant. L'individualité n'est pas mise en avant parce qu'elle n'a pas de place dans cette petite communauté villageoise qui obéit à des règles ancestrales transmises de génération en génération et qui est régie par des coutumes et des croyances plus ou moins compréhensibles pour un non-initié. L'importance de la communauté est visible à travers les quelques épisodes où tout le village se rassemble, par exemple pour faire ses adieux à l'enfant qui part à l'école de Conakry. Dans toute cette première partie, les quelques fragments où l'auteur utilise le "je" sont ceux dans lesquels il fait des commentaires de la perspective de l'adulte qu'il est devenu.
L'entrée à l'école française marque aussi l'avènement de l'individualité du personnage principal qui, une fois séparé de sa communauté d'origine, commence à s'exprimer à la première personne du singulier. La rupture à fait surgir une personnalité distincte qui ose à la fin accepter de partir en France avant même de consulter ses parents et cela non pas à cause d'un désir de rébellion, mais tout simplement parce qu'il se sent capable de prendre ses propres décisions.
L'attachement à la famille, les premiers sentiments amoureux, l'amitié simple entre enfants... Camara Laye les présente dans son livre tels qu'il les a vécus, à travers les yeux de l'enfant qu'il était. J'ai lu avec beaucoup de plaisir ce livre plein d'émotion et de sensations: le soleil de l'Afrique accompagne à chaque pas le lecteur, l'odeur de la mer à Conakry vient s'y ajouter pour un voyage magique au monde de l'enfance africaine.

Les vestiges du jour - Kazuo Ishiguro


"Le soir, c'est la meilleure partie du jour". C'est la phrase qui est restée dans ma tête après avoir lu le livre "Les vestiges du jour" de Kazuo Ishiguro. Comment je l'ai trouvé? J'avais envie de lire quelque chose sans aucune liaison avec mes préoccupations quotidiennes, une sorte d'évasion prévue pour les vacances de Noël. Je l'ai découvert par hasard en errant parmi les rayonnages de la bibliothèque et c'est le titre qui m'a tout de suite plu. Et je n'ai même plus attendu les vacances pour le lire. Personnellement, les "vestiges" me font penser à l'histoire, à un monde disparu, à une civilisation lointaine. Mais le livre d'Ishiguro m'a portée dans un univers clos, une société très hiérarchisée, dont je ne doutais même pas l'existence: le monde des majordomes. Et oui, peut-être vous avez maintenant un sourire au coin des lèvres, mais Ishiguro décrit très bien une sorte de "caste" professionnelle qui fonctionne selon des règles très bien définies et transmises de génération en génération.
Mr. Stevens est un majordome qui travaille dans l'une des grandes maisons de la société anglaise: Darlington Hall. Il est actuellement au service de Mr. Faraday, un Américain qui a acheté la propriété après la mort de Lord Darlington et qui lui propose de prendre quelques jours de congé, en s'offrant même de lui prêter sa voiture et de payer les frais. Pour se convaincre soi-même de l'importance de ce voyage, Mr. Stevens utilise comme prétexte le fait d'aller chercher Miss Kenton, une ancienne employée de la maison, qu'il voulait réembaucher.
Ce voyage à travers les paysages anglais est lui aussi un prétexte: le vrai voyage se fait dans le passé, en se remémorant les années de gloire de la maison. On voit très clairement la fierté avec laquelle Mr. Stevens parle de son métier; pour lui, les vrais majordomes ont deux qualités essentielles: la dignité et la loyauté. Et il essaye à travers les histoires qu'il raconte de nous, ou pour mieux dire, de se convaincre qu'il a ces deux qualités. Il a fait son devoir à tout instant, en mettant toujours sa profession devant sa vie personnelle: l'épisode de la mort de son père est dans ce sens très éloquent (il a laissé son père moribond à l'étage pour aller servir son maître qui donnait une soirée au rez-de-chaussée) tout comme le sacrifice de son amour pour Miss Kenton, amour qu'il n'avoue jamais, mais dont on devine petit à petit l'existence. Dans son monde, le sentiment n'a aucune place, c'est le devoir qui est roi. Il décrit toute une société en miniature des domestiques où les majordomes se considéraient comme une sorte d'aristocratie et qui essaye d'être une image de la grande société de leurs maîtres. Pendant son voyage, un incident l'amène à passer une nuit dans une maison paysanne où il est pris pour un gentleman en raison de sa voiture et de ses vêtements très soignés; il ne dément pas cette opinion fausse, tout au contraire, il laisse croire que ses relations avec les grands hommes politiques de l'époque étaient très amicales et qu'il a eu une certaine influence sur les décisions politiques.
Les événements qu'il se remémorent ont eu pour la plupart lieu avant la deuxième Guerre Mondiale et on voit y apparaître des personnages historiques comme Churchill ou Ribbentropp. Mr. Stevens voue à Lord Darlington une très grande admiration, il essaye toujours de le disculper, son ancien patron étant soupçonné d'avoir eu des idées liées au nazisme.
Le livre d'Ishiguro mêle l'histoire européenne à l'histoire personnelle d'un majordome, un récit qui présente les "vestiges" de la vie de Mr. Stevens: quelques souvenirs d'une vie entièrement dédiée à son métier. Une fois le voyage fini, la première pensée de Mr. Stevens est à comment améliorer sa pratique du badinage pour faire plaisir à son nouveau maître.
Un livre qui m'a fait parfois sourire, parfois m'attrister, mais ne m'a jamais ennuyée.

vendredi 30 novembre 2012

Pourquoi un carnet de lectures?

A une époque où la vitesse est la caractéristique fondamentale de notre société, où tout le monde est pressé, le temps passe parfois incroyablement vite, avons-nous encore le temps de lire? Lire un livre, pas un journal, pas un magazine, sentir le papier entre les doigts et nous réjouir à chaque page... Beaucoup de gens diraient que c'est démodé, ce n'est plus intéressant, c'est ennuyant, etc.
Mais parfois, un livre peut nous offrir un peu de tranquillité, un monde où on peut oublier les problèmes quotidiens, le stress, l’inquiétude, bref, la vitesse d'un monde qui semble vouloir nous engloutir à chaque pas. Personnellement, penser à une journée ou au moins une heure passée assise commodément dans un fauteuil, un bon livre à la main, ma musique préférée en sourdine, seulement cette pensée me donne une sensation de tranquillité et de confort. Les livres peuvent être des amis fidèles, qui ne te jugent pas, qui ne te grondent pas, mais t'offrent inconditionnellement des conseils, t'accueillent dans leur monde, se dévoilent devant toi sans te demander en échange qu'un peu de temps. Il m'est arrivé à maintes reprises de me retrouver dans une certaine situation, dans une phrase, dans un sentiment décrit. J'aime me voir dans un autre monde, voir avec les yeux de l'imagination les paysages, sentir les parfums et les arômes, "connaître" les personnages. Le sentiment de paix intérieure que je ressens est incomparable. 
J'aime les livres, j'aime me perdre dans les descriptions, dans les sensations, dans les portraits.  Je ne vais pas essayer de faire de la critique littéraire, mais juste écrire mes opinions personnelles sur ce que je lis. J'attends des commentaires, des avis, des idées...